Cette Croisade, qui s'en prend aveuglément non seulement aux cathares mais à tout le peuple occitan, aux alentours de 1209, va décimer le pays.

Non que les auteurs des ces cris de révolte, auteurs qui sont quelquefois aussi des acteurs politiques sur la scène de ce drame, aient nécessairement eux-mêmes adopté la croyance cathare : ils s'élèvent contre le massacre de populations entières, des exactions multipliées, l'injustice d'un pouvoir français qui veut imposer son joug à une nation libre et forte jusqu'alors.

C'est dans ce contexte que la Canso de la Crosada voit le jour. Ce long poème (9578 vers), à la fois historique et épique, relate la tragédie de 1209 à 1218-19 (en réalité, la croisade perdure au delà de 1230).

La Canso de la Crosada est en fait composée de deux parties qui sont l' oeuvre de deux mains différentes.

La première partie est due à un clerc navarrais, Guilhèm de Tudèla, qui raconte les événements de la croisade de 1209-1210 à 1213-1214. Appartenant au parti français sous la protection de Baudoin, Guilhèm se pose davantage en chroniqueur qui s'efforce de porter un regard objectif sur ce qui se trame, plutôt qu'en partisan convaincu. Il ne néglige aucun détail, mais ses descriptions sont dénuées de tout lyrisme, de tout sentiment, dégageant une certaine froideur face à la gravité de l'histoire et non la voix ou le coeur. Toutefois, il se tait avec la terrible bataille de Muret (1213), et la mort de Baudoin, événement qui constitue un revers cuisant pour les français (1214).

Son successeur, auteur de la seconde partie, embrasse franchement quant à lui, la cause occitane à travers le personnage du comte Raymond VII de Toulouse, figure essentielle, un peu mythique de ce deuxième poème. Ce nouveau rédacteur n'a pas signé son oeuvre et reste aujourd'hui un anonyme dont on peut simplement penser qu'il était un clerc vivant à la cour de Toulouse, dans l'entourage de Raymond VII. Celui qui est un des plus célèbres anonymes de la littérature occitane, en prenant la suite de Guilhèm et en quelque sorte celle du camp adverse, tourne habilement la chanson à l'avantage des occitans.

Dès lors, le ton change. Un souffle épique parcourt le texte, et l'horreur et la joie envahissent successivement le lecteur au rythme passionné de la voix du poète. Les tableaux de batailles, les portraits des personnages clé ont une puissance d 'évocation, une expressivité qui font du lecteur un contemporain, un spectateur des événements. Dans l'incompréhension la plus totale d'une lutte acharnée contre un peuple pacifique, l'occitan apparaît comme le seul bon catholique persécuté, un peu à l'image du Christ. Et, l'émotion monte, fait vibrer, jusqu'au cri final d' espoir, cri de salut, au moment de la mort de Simon de Montfort en 1218 : la reconquête est proche, le Bien, le peuple occitan gouverné par le Christ, triomphant. La suite historique est malheureusement plus tragique, et le poète laisse sa plume.

Mais par-delà la position engagée de l'auteur (qui n'enlève rien à son talent), le génie de ce dernier n'en est pas moins remarquable car il a su placer sa réflexion au-dessus des circonstances vécues de l'historique : c' est à une lutte pour des valeurs morales, pour une culture, pour la liberté de penser, c'est à l'humanisme propre à la mentalité occitane, qu'il appelle ; et il souligne l'attachement de l'occitan à sa terre qu'il possède par nature, et la nécessité du respect des préceptes hérités de la Fin'amor et désormais inhérents à l'esprit occitan. C'est un hymne douloureux, passionné, à la pérennité de l'occitanie et de sa pensée.

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Mas la Verges Maria lor en sira guirens, Que segon la dreitura repren los falhimens, Per que la sanc benigna no's sia espandens, Car Sent Cernis los guida, que non sian temens, Que Dieus e dreitz e forsa e'l coms joves e sens, Lor defendra Tholoza ! Amen.

Mais la Vierge Marie saura nous protéger, Par Elle enfin la justice triomphera et le sang innocent ne sera pas versé. Toulousains, point d'effroi, Saint Sernin vous assiste et Dieu le Droit la Force, avec le jeune comte, défendent votre ville ! Amen.

Derniers vers de la Canso.

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CHANSON DE LA CROISADE ALBIGEOISE

Texte original occitan, traduction et adaptation d'Henri Gougaud

Préface de Georges Duby

- Collection Le Livre de Poche, Lettres Gothiques, 1989 -

a tristement célèbre croisade contre les Albigeois suscite un riche courant de résistance littéraire en terre d'oc.